Dasy Ibrahim est l’un des experts de CARE sur le changement climatique. Originaire et travaillant à Madagascar, il s’est rendu à Bruxelles pour inciter les gouvernements européens et les institutions internationales à renforcer et accélérer leurs actions contre le changement climatique. 

L'association CARE lutte contre les effets du changement climatique
© 2015 / CARE

Quel était l’objectif de votre visite à Bruxelles ?

Je suis venu à l’occasion des journées européennes du développement (EDD). Je voulais alerter les institutions internationales, la Commission européenne et les députés européens sur le caractère critique de la période que nous vivons. 

J’ai demandé aux pays de l’Union européenne de revoir leurs copies et de réduire de 50 % leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. C’est une condition essentielle pour limiter le réchauffement climatique à 1°5 C. 

Mon message est clair : nous ne pouvons pas continuer à rester les bras croisés. Nous ne pouvons pas rester les témoins passifs du changement climatique. J’espère qu’il sera entendu car c’est une question de survie. Le changement climatique rend le quotidien des communautés pauvres de plus en plus difficile. Madagascar en est un exemple frappant. 

Quels sont les impacts du changement climatique à Madagascar ?

Madagascar est un pays à haut potentiel économique, pourtant, il est l’un des plus pauvres et des plus vulnérables au changement climatique et aux catastrophes naturelles. 

Le nombre de cyclones a augmenté : il y en a eu 18 entre 1975 à 1989 et 50 entre 1990 et 2016. Le changement de leur trajectoire est tout aussi inquiétant. Ils touchent désormais toute la côte Est et Ouest. Et les cyclones sont désormais imprévisibles. 

L’année dernière, le puissant cyclone Fantala est passé proche des côtes de Madagascar, provoquant de nombreuses inondations dans le Nord et l’Est. Il a poursuivi sa route avant de retourner en arrière. C’est très difficile pour les populations, d’un point de vue psychologique et économique.

Dans la région nord de SAVA (composée des districts Sambava, Andapa, Vohémar, Antalaha) où je travaille, les cyclones ravagent régulièrement les cultures vivrières et les cultures de rentes telles que les vanilliers, les caféiers et les girofliers : des plantations qui mettent entre trois et cinq ans avant de repartir, à condition qu’il n’y ait aucune autre catastrophe dans ce laps de temps. Or, la région est touchée par des cyclones tous les deux ans environ. 

Madagascar est un pays de contraste, une caractéristique renforcée par le changement climatique. En six ans, la région de SAVA a également été touchée par des manques de pluies importants et par la hausse des températures. De nombreuses récoltes ont été totalement détruites. Les conséquences sont dramatiques pour les populations les plus vulnérables.

© 2013 / CARE

Quelles sont les personnes les plus affectées par le changement climatique ?

Toutes les populations en subissent les conséquences. Mais les personnes les plus pauvres, et parmi elles les femmes et les enfants, en souffrent particulièrement. Aujourd’hui, 45 % des enfants de la région de SAVA souffrent de malnutrition.

Les femmes portent aussi un lourd fardeau. À cause du manque de pluie, les rivières sont infiltrées d’eau de mer et deviennent saumâtres, les puits se tarissent. Les femmes doivent désormais parcourir entre 3 et 5 km pour aller chercher de l’eau. 

Les fréquents aléas climatiques poussent aussi certains agriculteurs à abandonner leur exploitation. Beaucoup d’hommes vont chercher du travail dans une autre région. Et souvent, ils finissent par abandonner leur famille. Les femmes se voient dans l’obligation de prendre la relève. Certaines doivent vendre leur maison et leur petit lopin de terre pour subvenir aux besoins les plus urgents, comme nourrir leurs enfants. Ces familles sont alors obligées de s’installer dans des endroits dangereux comme aux abords des rivières ou sur les collines. Elles y sont exposées aux crues et aux cyclones. 

Quelles sont les solutions possibles ?

CARE est présente depuis 23 ans à Madagascar. Nous travaillons avec les populations pour identifier les facteurs de vulnérabilité et y remédier en nous appuyant sur les connaissances traditionnelles locales et les méthodes développées par CARE. 

Nous menons des programmes de réduction des risques liés aux catastrophes naturelles. Nous mettons en place des plans de contingence au niveau des villages, nous construisons des infrastructures plus solides dont certaines limitent les effets des catastrophes naturelles (brise-vents, digues, reboisement et abris).

Il faut aussi aider les populations à s’adapter aux variabilités climatiques. On facilite l’accès à l’information climatique : quand faut-il planter ? Quand seront les prochaines pluies ? On soutient la diversification agricole et l’introduction de semences mieux adaptées : riz à cycle court, ignames, patate douce à chair orange. On forme et appuie les paysans à transformer et stocker leurs productions. Ainsi, ils auront de quoi manger, même en cas de perte de leurs récoltes par des cyclones ou des sécheresses. 

L'association CARE aide les populations à Madagascar
Pépinières, formations agricoles, soutient aux activités économiques... CARE aide les populations malgaches à s'adapter aux impacts du changement climatique. © 2015 / CARE

Quels sont les défis sur le terrain ?

On a développé beaucoup de méthodes qui ont fait leurs preuves. L’enjeu est désormais la mise à l’échelle, c’est-à-dire de les rendre accessibles au plus grand nombre.

Nous faisons face à deux défis de taille : le manque important de financements internationaux et le manque d’actions concrètes de la part des autorités malgaches. Le gouvernement a bien conscience de l’urgence du changement climatique mais il faut encore trouver les moyens et un mode de fonctionnement qui permettent le déploiement de solutions.

Notre priorité est d’aider les populations les plus vulnérables à faire face au changement climatique. C’est dans ce but que nous continuerons à agir sur le terrain tout en sensibilisant les pouvoirs publics ainsi que les bailleurs internationaux : c’est la seule manière d’avancer.