Une tribune de Philippe Lévêque, directeur de CARE France : 

C’est officiel. La gestion de la crise migratoire et le renforcement des frontières sont désormais au cœur de la politique extérieure européenne. Cette semaine, l’Union européenne a adopté un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers qui concerne tous types de relations : accords commerciaux, coopération internationale ou aide au développement. Mais l’objectif principal est clair : dissuader et faciliter le renvoi des réfugiés et migrants. 

En tant que citoyen européen, je suis scandalisé par cette politique.

Il est inacceptable d’entendre nos dirigeants prétendre ne pas avoir les moyens d’accueillir les 1,3 million de personnes arrivées sur notre territoire ainsi que ceux qui risquent tout pour trouver un endroit sûr. L’Europe est l’un des continents les plus riches de la planète qui s’étend sur le vaste territoire de 27 pays. 

Faut-il rappeler à nos gouvernements que le Liban, pays à revenus moyens, accueille déjà 1,4 million de réfugiés syriens ? Que ces derniers représentent un cinquième de la population de ce tout petit pays ? Je me rends régulièrement dans ce pays : les conditions de vie des réfugiés y sont dramatiques. Ces familles ont quitté la Syrie avec presque rien, pour sauver leurs vies. Elles s’entassent dans des bâtiments délabrés ou de minuscules pièces insalubres pour plusieurs centaines d’euros par mois. Les services de base (santé, éducation), déjà très fragiles, n’ont pas la capacité de prendre en charge cet afflux de population. 

Aujourd’hui, ce sont les pays en développement - en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient - qui accueillent 82% des 65 millions de déracinés dans le monde. Seuls 6% sont en Europe.

Et petit à petit nos dirigeants renforcent la forteresse Europe.

Ils cherchent aujourd’hui à déléguer le contrôle et l’accueil des migrants et réfugiés aux pays de leurs régions d’origine. Dans la continuité de l’accord avec la Turquie, nos gouvernements confient leurs responsabilités à d’autres pays. Des pays dont certains se situent dans des zones de conflit ou sont dirigés par des régimes autoritaires. L’Union européenne a déjà entamé des négociations avec des Etats tels que l’Erythrée. Alors même que l’ONU vient de recommander le renvoi de ce pays devant la Cour pénale internationale pour atteintes persistantes et systématiques des droits humains au cours des vingt-cinq dernières années. Comment, dans ces conditions, garantir les droits des personnes qui seront expulsées vers ce type de pays ? Notre responsabilité ne s’arrête pas aux frontières de l'Europe.

Pourtant rien n’y fait. Et tous les moyens sont bons. L’Europe instrumentalise désormais l’aide au développement, ainsi que ses relations commerciales, pour encourager le retour des réfugiés/migrants dans leur pays d’origine ou vers les pays de transit. En gros, nous nous dédouanons de notre responsabilité en termes d’accueil et de protection en échange de financements.

Cette approche a déjà des répercussions négatives.

Le Kenya menace aujourd’hui de fermer le camp de réfugiés de Dadaab, qui accueille des centaines de milliers de Somaliens, à moins d’obtenir le même type de soutien financier que la Turquie (six milliards d’euros). Que vont devenir ces réfugiés si ce camp venait à fermer ? Seront-ils obligés de retourner en Somalie où la situation reste très instable ? 

Et combien de pays suivront cet exemple ? Aujourd’hui, l’Europe a ouvert la boîte de Pandore qui pourrait remettre en cause l’ensemble des règles et standards internationaux en matière de droits humains et de droits d’asile.

Le plus tragique est que la stratégie européenne ne fonctionnera pas.

Car elle se base sur l’idée que des politiques hostiles et répressives freineront l’arrivée des réfugiés et migrants. Nos dirigeants ont-ils conscience du désespoir de ces personnes qui fuient les persécutions, les guerres ou l’extrême pauvreté ? Elles sont prêtes à mettre leur vie en péril pour arriver en Europe. En janvier, j'ai vu ces groupes de réfugiés qui bravaient le froid et la faim en Serbie et en Croatie. Beaucoup se sont effondrés quand ils ont vu les frontières européennes se fermer les unes après les autres. 

Tahani, réfugiée syrienne soutenue par nos équipes en Grèce, est l’une d’entre eux : « J’en ai eu la nausée. Nous venons de si loin et j’ai dépensé tout mon argent pour sauver mes enfants. Ces cinq dernières années, je ne pensais qu’à une seule chose : il existe des endroits qui ne sont pas en guerre, où les gens ne s’entretuent pas, où mes enfants pourraient aller à l’école. Nous sommes arrivés jusqu’en Grèce. Mais et maintenant ? » 

Et maintenant, le périple des réfugiés et migrants n’en sera que plus dangereux et onéreux, avec le recours à des réseaux de passeurs. Il faut en avoir conscience, cette politique honteuse ne fera qu’augmenter les souffrances humaines.

Cette tribune a été publiée sur le Huffington Post

L’action de l’association CARE :

L’afflux de réfugiés en Europe requiert une réponse humanitaire d’urgence. L’association internationale CARE et ses partenaires sont présents en Allemagne, en Autriche, dans les Balkans et en Grèce.

Au Moyen-Orient, CARE a aidé plus d’un million de personnes en Syrie et dans les pays voisins qui accueillent les réfugiés syriens. CARE apporte une aide d’urgence sanitaire, médicale, alimentaire, psychologique et financière.