Le 10 juillet, la ministre des Armées Florence Parly présentera son rapport au Parlement sur les exportations d’armement. À cette occasion, 19 ONG humanitaires et de défense des droits humains, dont CARE, adressent un courrier aux parlementaires. Nous les appelons à exercer leur devoir de contrôle de l’action gouvernementale en s'assurant que la France ne viole pas ses engagements internationaux en continuant à exporter des armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis.

Les parlementaires doivent s'assurer que la France ne viole pas ses engagements internationaux.

Mesdames et Messieurs les Députés,

Ce mercredi 10 juillet, la ministre des Armées Florence Parly sera auditionnée par la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale pour y présenter son rapport au Parlement sur les exportations d’armement.

A cette occasion, nous, représentant·e·s d’ONG humanitaires et de défense des droits humains, vous appelons solennellement à exercer votre devoir de contrôle de l’action gouvernementale en vous assurant que la France ne viole pas ses engagements internationaux en continuant à exporter des armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis.

La France fournit des armes à des pays qui attaquent les populations civiles au Yémen.

Ces deux pays sont à la tête d’une coalition militaire responsable de violations graves et systématiques du droit international humanitaire contre les civils yéménites. Le rapport au Parlement, publié le 4 juin, indique que l’Arabie saoudite était le premier client de l’industrie d’armement française en 2018, en augmentation de 50% par rapport à l’année précédente. Les Émirats arabes unis étaient, quant à eux, le 5ème client de la France en 2018 et se hissent au 4ème rang sur les dix dernières années.

Les Nations Unies et nos ONG ont largement documenté les graves violations commises par l’ensemble des parties au conflit depuis 2014, dont certaines constituent des crimes de guerre. 

Les forces houthies sont notamment responsables d’attaques indiscriminées, d’utilisation de mines anti-personnel et d’autres armes explosives en zones peuplées, de recrutement d’enfants-soldats, de disparitions forcées et torture, d’entraves à l’aide humanitaire. La coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis a notamment mené des frappes aériennes répétées visant des hôpitaux, des écoles, des marchés, des funérailles et même un bus scolaire rempli d’enfants. Le blocus mis en place par la coalition a exacerbé une crise humanitaire de grande ampleur aux conséquences dramatiques sur la population yéménite.

Il existe un risque que la France se rende complice de crime de guerre au Yémen.

Selon la Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, près des deux tiers des victimes civiles directes du conflit au Yémen sont imputables aux frappes aériennes menées par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.

Face au risque que la France se rende complice de crimes de guerre au Yémen, nous avons à maintes reprises appelé le gouvernement à cesser ses exportations d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis lorsqu’il existe un risque que ces armes soient utilisées pour commettre des violations au Yémen. Jusqu’à présent, nos appels n’ont pas été entendus : le gouvernement français a non seulement poursuivi, mais aussi augmenté ses livraisons d’armes à des forces militaires responsables de multiples abus. 

Le sort des populations civiles au Yémen ne fait qu’empirer.

Ces questions revêtent un caractère d’urgence à la lumière des événements de ces dernières semaines en France, alors que le sort des populations civiles au Yémen ne fait qu’empirer.

Une note confidentielle de la Direction du renseignement militaire français, publiée le 15 avril par le site d’investigation Disclose, atteste du risque élevé que du matériel militaire français soit utilisé contre des civils yéménites. Une carte illustrant le rayon d’action de canons Caesar déployés par l’Arabie saoudite le long de sa frontière avec le Yémen établit notamment que « 436 370 personnes » sont « potentiellement concernées par de possibles frappes d'artillerie ».

Suite à ces révélations, deux cargos saoudiens venus charger des armes françaises au Havre et à Fos-sur-Mer ont été contraints de faire demi-tour sans leur livraison face à la mobilisation sans précédent de la société civile et d’élus. Dans le même temps, deux enquêtes journalistiques illustraient l’opacité qui entoure les ventes d’armes françaises (« Mon pays vend des armes », livre d’Anne Poiret et « Crimes de guerre au Yémen : les complicités européennes », documentaire d’Alexandra Jousset).

Quelles sont les utilisations finales des armements Français ?

Dans ce contexte, le rapport au Parlement sur les exportations d’armement, présenté par la ministre des Armées comme un exercice visant à répondre à « l’exigence démocratique » et au « besoin de transparence » des Français, devrait être l’occasion d’apporter des réponses claires aux inquiétudes légitimes d’un nombre croissant de parlementaires, de dockers, de salariés de l’industrie d’armement et, plus largement, de citoyens.

Au lieu de cela, le gouvernement français laisse en fait de nombreuses questions cruciales sans réponses. Que vend exactement la France et à qui ? Quelles sont les utilisations finales de ces armements ? Quelles garanties la France a-t-elle que ces armes ne servent pas à commettre des violations au Yémen ? Quelles sont les licences d’exportations qui ont été refusées et pour quels risques identifiés ?

Sans ces informations, il nous apparaît que le Parlement n’est pas en mesure d’exercer son devoir de contrôle ni de s’assurer de la conformité des ventes d’armes françaises avec les obligations internationales de la France au titre du Traité sur le commerce des armes et de la Position commune de l’Union européenne sur les exportations d’armement. 

Pourquoi la France ne suit-elle pas l’exemple des autres pays ?

Dans un nombre croissant de pays, la guerre au Yémen pousse les gouvernements à réviser leur politique d’exportation d’armement. L’Allemagne, le Danemark, la Norvège, la Finlande ont été les premiers à stopper ou limiter leurs ventes d’armes. En Belgique et au Royaume-Uni, la justice, saisie par les ONG, a contraint les gouvernements à revoir leurs exportations vers l’Arabie saoudite. Aux Etats-Unis et en Italie, les parlementaires ont légiféré pour bloquer le transfert de certains matériels militaires.

Nos demandes aux parlementaires.

Face à l’inaction du gouvernement, nous vous exhortons, Mesdames et Messieurs les Députés, à exiger de l’exécutif des réponses claires sur l’usage des armes vendues par la France et le respect de ses obligations internationales. Ce qui est en jeu n’est rien d’autre que la crédibilité de la France sur la scène internationale.

Nous vous demandons notamment de :

  • Demander l’arrêt immédiat des transferts d’armes à l’Arabie saoudite, ainsi qu’aux Émirats arabes unis quand il existe un risque qu’elles soient utilisées dans des violations des droits humains au Yémen.
  • Soutenir la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le respect par la France de ses engagements internationaux dans le cadre du conflit au Yémen.
  • Améliorer de façon décisive la transparence relative aux ventes d'armes, notamment en établissant un véritable contrôle parlementaire des exportations, comme le souhaitent 72% des Français selon un récent sondage YouGov.

Signataires

ACAT; Action Contre la Faim (ACF); Alliance internationale pour la défense des droits et des libertés (AIDL); Amnesty International France; Avaaz; CARE France; Fédération internationales des ligues des droits de l’Homme (FIDH); Handicap International; Human Rights Watch; Ligue des droits de l’Homme (LDH); Médecins du Monde; Observatoire des armements; Oxfam France; Première Urgence Internationale; Salam for Yemen; Sherpa; STAND France; SumOfUs; Yemen Solidarity Network