Le gouvernement français s'oppose à plus de transparence et de contrôle démocratique sur le contrôle de ses ventes d’armes, selon une note confidentielle révélée par le média Disclose. L’exécutif entend enterrer les recommandations d'un récent rapport parlementaire sur ce sujet. L'enjeu est pourtant crucial : s'assurer que les armes françaises ne soient pas utilisées contre des civils dans le monde. 

L'association CARE intervient au Yémen
© Holly Frew/CARE

Il serait honteux que le gouvernement français s’oppose à une plus grande transparence et au renforcement du contrôle du Parlement sur les ventes d’armes françaises, alertent 13 ONG. La responsabilité des ventes d’armes françaises est pointée du doigt dans certaines violations graves du droit humanitaire et des droits humains. C'est notamment le cas au Yémen où ces violations ont des conséquences dramatiques sur les populations civiles. 

La France demeure une exception alors que dans de nombreux pays démocratiques tels que l’Allemagne, le Royaume Uni, les Pays Bas ou encore les États-Unis, les Parlements exercent un contrôle des ventes d'armes depuis longtemps.

Action contre la faim - Lucile Grosjean, directrice déléguée plaidoyer :

« Action contre la faim est navrée de voir que le gouvernement tente d'enterrer définitivement un rapport parlementaire proposant plus de transparence en matière de ventes d'armes. Aujourd'hui, la priorisation du gouvernement entre processus de paix et objectifs commerciaux est claire : la France souhaite continuer à vendre des armes aux pays membres de la coalition militaire intervenant au Yémen, et ce en toute opacité. La guerre au Yémen a engendré d'importantes pertes civiles et la famine guette à nouveau : en 2021, plus de 16 millions de personnes souffriront de la faim. Comme dans toute démocratie, le parlement doit pouvoir contrôler l'action du gouvernement et attester du respect des traités qu'il a lui-même ratifiés; et ainsi pouvoir s'assurer que la France n'est pas co-responsable de la tragédie en cours. »

ACAT-France - Elias Geoffroy, Responsable programme et plaidoyer Afrique du Nord et Moyen-Orient :

« Le gouvernement français joue un double jeu : officiellement, il rappelle qu’il faut s’abstenir de vendre des armes s’il y a un risque qu’elles soient utilisées à l’encontre de populations civiles ; officieusement, il refuse tout contrôle permettant d’assurer que la France respecte ses obligations en la matière et fait tout pour maintenir l’opacité. Les révélations de Disclose semblent indiquer que le gouvernement fait passer les intérêts financiers liés aux exportations d’armes avant la protection des vies humaines, comme s'il s'agissait d'un banal commerce. »

Amnesty International France - Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes :

« Les éléments rapportés par Disclose et Médiapart sont édifiants. Le SGDSN, service directement rattaché au premier Ministre et chargé de la mission du contrôle des exportations, suggère fermement et sans ambiguïté au pouvoir exécutif de s’opposer à la mise en place d’un contrôle parlementaire des exportations d’armements, décidées par le seul pouvoir exécutif. La constitution fait pourtant du Parlement un acteur du contrôle de l’action du gouvernement. C’est pourquoi le pouvoir exécutif doit prendre acte du travail du Parlement et répondre positivement et au plus vite aux propositions du rapport d’information Maire-Tabarot. Seule cette réponse positive permettra de lever toute suspicion sur les ventes d’armes françaises, offrant l’assurance qu’elles sont conformes au droit international et ne concourent pas à la commission de crimes de guerre. »

CARE France - Fanny Petitbon, responsable plaidoyer :

 « Le gouvernement se trompe : ni les parlementaires, ni les ONG ne sont des ennemis. En tant qu'ONG, c'est notre devoir et responsabilité de nous assurer que l’Etat français respecte ses obligations en vertu du Traité sur le Commerce des Armes. Cela devrait aussi être celui de la France. Or aujourd’hui, nous savons que la France vend des armes à des pays qui commettent des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire. Le gouvernement préfère éviter d’être soumis au contrôle des parlementaires et semble prêt à sacrifier les vies de milliers de civils innocents au profit d’intérêts économiques. Améliorer la transparence et renforcer le dialogue entre l’exécutif et le législatif sur un sujet aussi sensible que les ventes d’armes ne devraient pas être un luxe dans une démocratie. »

Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) - Antoine Madelin, directeur du plaidoyer :

« L'Égypte reste un client privilégié des vendeurs d'armes français avec le soutien du gouvernement français puisque l'exécutif doit donner son feu vert pour toute vente de matériel de surveillance ou d'armement auprès des autorités égyptiennes. Il y a un laisser-faire qui est problématique puisqu'on constate une société brisée en Égypte. La transparence démocratique est une exigence des électeurs français qui ne peut plus être ignorée. »

Human Rights Watch - Bénédicte Jeannerod, directrice France :

« Il serait consternant que le gouvernement préfère le statu quo de l'opacité à un réel contrôle parlementaire sur les exportations d'armes françaises, alors que ces dernières sont accusées depuis des années de contribuer à des crimes de guerre contre les civils au Yémen et à la répression brutale en Egypte, en violation flagrante des obligations internationales de la France. Les propositions du rapport Maire/Tabarot donnent une occasion unique au gouvernement d’améliorer la transparence autour de ces ventes, il est crucial qu’il la saisisse. »

Ligue des droits de l’Homme - Malik Salemkour, président :

« Quinze jours seulement après la publication du rapport des députés Jacques Maire et Michèle Tabarot proposant des pistes de renforcement du contrôle démocratique des ventes d’armes qui permettrait à la France de respecter ses engagements, la réponse du Président E. Macron est l’accueil en visite d’état du président Al Sissi, alors que les violations aux droits de l’Homme en Egypte sont croissantes. C’est aussi une quasi-fin de non-recevoir de ce rapport, qui témoigne d’un profond mépris pour le Parlement et du fait que les droits fondamentaux sont secondaires face aux clients des armes françaises. »

Médecins du Monde - Philippe de Botton, président :

« Alors que la situation humanitaire des populations civiles du Yémen est plus difficile que jamais en raison d’un conflit soutenu par des armes françaises, le gouvernement semble continuer de faire passer les exportations d’armements devant ses obligations internationales et la vie des Yéménites. »

Observatoire des armements - Tony Fortin, chargé d’études :

« L’exécutif campe sur son habituelle position : il refuse de voir entamer ses marges de manœuvre qui lui permettent d’alimenter en armement des pays en guerre. Pour surmonter définitivement ces blocages et éviter un autre “Yémen” ou “Angolagate”, il est nécessaire que les députés se mobilisent et imposent à l’exécutif cette réforme qu’il ne veut pas, comme cela a été le cas dernièrement pour l’allongement de la durée de l’IVG. Nous n’allons pas encore attendre vingt ans. »

Oxfam - Nicolas Vercken, directeur campagnes et plaidoyer :

« La mise en place d’une délégation parlementaire sur ces questions ne ferait que mettre la France au même niveau que les autres pays européens, et permettrait de combler un déficit démocratique majeur qui perdure depuis trop longtemps. Surtout, encore une fois, il s’agit de s’assurer que la politique d’exportation d’armes françaises se fait dans le cadre du droit, et dans la perspective de l’intérêt général : faire prévaloir les considérations humanitaires sur les enjeux économiques et industriels à court terme. »

Salam For Yemen - Sadek Alsaar, président :

« En s’opposant à une plus grande transparence et au renforcement du contrôle du Parlement sur ses ventes d’armes, la France est l’un des rares pays démocratiques qui s’expose au non-respect de ses engagements européens et internationaux en matière d’exportations d’armements et risque un jour d’être accusée de complicité avec des crimes de guerre commis par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis contre les civils au Yémen, comme l’indique le dernier rapport (septembre 2020 ) du groupe d'experts éminents sur le Yémen des Nations unies (GEE Yémen). »

SumOfUs - Nabil Berbour, directeur de campagnes :

« SumOfUs dénonce le double-jeu préoccupant du gouvernement qui préfère conserver un processus de décision opaque et anti-démocratique sur la question des ventes d’armes et ne semble tolérer aucun garde-fou, aucun contre-pouvoir qui puisse l’empêcher de violer ses obligations internationales en la matière. En cherchant à enterrer honteusement les recommandations principales de la mission d’information parlementaire sur le contrôle des exportations d’armements, le gouvernement fait le choix de faire passer les intérêts économiques des industriels de l’armement avant les droits humains et les vies de milliers de civils innocents. »

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