Un an après, nos équipes sur le terrain constatent chaque jour les effets dramatiques de la fermeture des frontières européennes et de la mise en œuvre de l'accord UE-Turquie. Ces deux décisions politiques ont délibérément bafoué le droit de tout être humain de bénéficier d’une protection internationale.
Par Philippe Lévêque, directeur de l'ONG CARE France
La violation des engagements européens sur les droits humains.
Un an après, nos équipes sur le terrain constatent chaque jour les effets dramatiques de la fermeture des frontières européennes et de la mise en œuvre de l'accord UE-Turquie. Ces deux décisions politiques ont délibérément bafoué le droit de tout être humain de bénéficier d’une protection internationale. L’accord avec la Turquie est également un dangereux précédent ouvrant la voie à l’externalisation de l’accueil des réfugiés et du contrôle des mouvements migratoires. Et ce en violation des engagements européens sur les droits humains.
Aujourd’hui, les pays de l’UE préfèrent ignorer le fait que beaucoup de réfugiés ne se sentent pas en sécurité en Turquie. De même, qu’ils ferment les yeux sur le fait que la Libye, avec qui un accord similaire est en cours de discussion, ne respecte pas de nombreuses règles internationales.
2016 a été l'année la plus meurtrière en Méditerranée.
La politique migratoire actuelle des États européens est un échec total en termes de valeurs humanitaires. Si l'efficacité de l’accord avec la Turquie est en grande partie louée par la Commission européenne, nos représentants oublient le fait que les réfugiés et migrants empruntent désormais de nouvelles voies, plus dangereuses, pour atteindre l'Europe. Il est vrai que les passages de la Turquie à la Grèce ont fortement diminué, passant de centaines de milliers par mois en 2015, à près de 3 000 arrivées mensuelles en 2016 et chutant encore en ce début d’année.
Mais ces statistiques taisent une partie de la réalité : en raison de la fermeture des frontières sur la route des Balkans, les arrivées en Italie ont augmenté de façon drastique. Et surtout 2016 a été l'année la plus meurtrière en Méditerranée. L'absence de voies sûres et légales pour rejoindre l'Europe a en effet contribué à la prospérité des réseaux de passeurs et accru le désespoir des réfugiés.
Le désespoir des réfugiés : Fatima s'est réveillée à l'hôpital, amputée des deux jambes.
L’un de nos partenaires a récemment rencontré Fatima. Cette jeune afghane de 29 ans, mère de deux enfants, attendait depuis plus d'un an que sa demande d'asile en Grèce soit traitée. Faute de moyens légaux pour être réunie avec sa famille en Irlande, Fatima s’est retrouvée sans ressources avec des conditions de vie qui se détérioraient rapidement. Elle a décidé d’utiliser le peu d’argent qui lui restait pour payer des contrebandiers : 2 700€ pour passer en Hongrie. Elle n'a jamais atteint sa destination. Le véhicule des passeurs a été impliqué dans un accident et Fatima s'est réveillée à l'hôpital, amputée des deux jambes. Sa mère, qui avait fui avec elle les violences domestiques dont elles étaient toutes deux victimes, a été tuée sur le coup.
Dans les îles grecques, les demandeurs d'asile sont traités comme des criminels.
Aujourd'hui, les États européens multiplient les épreuves pour ces personnes qui fuient pour sauver leur vie et ne font qu’aggraver leurs traumatismes. À grands pas, la politique migratoire européenne est en train de se transformer en politique purement sécuritaire.
Dans les îles grecques, les demandeurs d'asile sont désormais traités comme des criminels, placés dans des centres de détention et des camps de réfugiés surpeuplés ne respectant pas les standards humanitaires. Et ce sans limite de temps. Il est pourtant contraire aux lois européennes d’interdire à un demandeur d’asile de se déplacer librement à l’intérieur d’un pays dans l’attente du traitement de son dossier. Qui plus est, l’accord UE-Turquie a limité les procédures d'appel et facilité les déportations.
Nous demandons aux États européens de se rappeler que ce sont des vies humaines qui sont ici en jeu.
Il y a un an, nous demandions aux États européens d’élaborer une politique d'immigration cohérente, respectueuse des droits humains et du droit d'asile. Aujourd’hui, nous réitérons cet appel. Nous les enjoignons tout simplement à se rappeler que ce sont des vies humaines qui sont ici en jeu.
L'action de CARE en Grèce
CARE apporte une aide aux réfugiés bloqués en Grèce. Dans les zones urbaines, CARE leur apporte une aide financière, une protection sociale via des conseils légaux et des informations sur leurs droits. CARE et ses partenaires ont également ouvert des centres d'accueil et d'hébergement pour accueillir les réfugiés qui sont de plus en plus nombreux à quitter les camps pour retrouver une vie normale.