L'opération "Bordure protectrice" (OBP), nom de code israélien pour les 51 jours d'offensive sur Gaza lors de l'été 2014, a semé une vague de destruction tant à l'échelle humaine qu'au niveau des infrastructures et de l'économie. Ces témoignages donnent un aperçu de ce qu'est la vie aujourd'hui à Gaza.

Pour les Gazaouis, l'intervention israélienne a eu lieu dans un contexte de conflit récurrent, d'occupation prolongée et de blocus persistant. Plus de 2 100 Palestiniens ont été tués, dont au moins 500 enfants. Près de 70 % d'entre eux étaient des civils. Environ 11 100 Palestiniens ont été blessés. À ce jour, 100 000 Palestiniens de Gaza sont toujours sans abris suite à l'OBP, car aucune des 19 000 maisons détruites l'été dernier n'a été reconstruite.

Ces témoignages sont publiés dans le cadre de la parution du rapport « Sortir de l'impasse à Gaza, tracer une nouvelle voie » produit par 46 ONG du collectif AIDA, six mois après la conférence du Caire pour la Palestine et la reconstruction de Gaza.

Fares*, 80 ans, vit avec son fils dans le Wadi Gaza, près de la clôture de périmètre entre Gaza et Israël, et souffre de diabète chronique. Tandis que sa famille était évacuée lors de l'incursion terrestre israélienne au début de l'OBP, il a d'abord refusé de partir. Lorsque les bombardements se sont rapprochés, il a finalement gagné la maison de son frère, un peu plus à l'intérieur des terres. À peine arrivé, une bombe s'est abattue sur la maison et Fares a été touché à la tête par un éclat. Il a été transporté d'urgence à l'hôpital, mais les lieux étaient tellement bondés qu'il n'a pas été admis, malgré le risque de complications dû à son diabète. Peu après avoir quitté l'hôpital, sa blessure s'est infectée.

Blessé, souffrant, loin de chez lui et dépendant des autres, Fares a commencé à déprimer. Lorsque l'OBP a pris fin, le vieil homme a ressenti un peu de soulagement car il se préparait enfin à rentrer chez lui. Mais à son retour, les soldats israéliens avaient utilisé sa maison comme poste d'armée et laissé derrière eux des déchets, des excréments et du mobilier détruit. Il a sombré un peu plus dans la dépression, l'anxiété et le sentiment d'agression.

« Tous les Gazaouis ont besoin d'aide psychosociale. Mais ici à Wadi Gaza, comme dans beaucoup d'autres zones, il n'y a pas de clinique. Et même s'il y en avait une, comment peut-on guérir quand, après une consultation, sur le chemin du retour, on est de nouveau frappé par la vision de nos vies détruites ? »

©AIDA

Lors de l'OBP, Mohammad Shubeer, 46 ans, a reçu un appel téléphonique de l'armée israélienne à 1h30 du matin l'informant qu'il avait sept minutes devant lui pour quitter sa maison. Les 21 membres de sa famille, âgés de 4 à 70 ans, ont dû se précipiter à l'extérieur. Malheureusement, son fils de 25 ans n'est pas sorti. Il a été tué lorsqu'un missile a frappé la maison.

Huit mois plus tard, un cratère de deux mètres de profondeur chargé de décombres se trouve à la place de leur maison détruite. Mohammad se rend souvent sur les lieux pour fouiller les ruines et récupérer certains objets qui lui rappellent son ancienne vie. En plus de son fils et de sa maison, Mohammad a perdu sa voiture qui lui permettait de gagner sa vie. Sans source de revenus, la famille a du mal à s'en sortir.

©AIDA

Sabreen Al Araj, 19 ans, son frère Yehwa et sa sœur Mariam ont profité de l'annonce d'un cessez-le-feu temporaire (prévu pour donner aux civils quelques heures de répit) pour quitter l'abri des Nations unies dans lequel ils avaient trouvé refuge et aller prendre une douche chez eux. Leur maison a été bombardée à ce moment-là.

Lorsque la fumée s'est dissipée, Yehwa a trouvé le corps de Mariam, décapité. Sabreen était vivante, mais inconsciente et n'avait plus de jambes.

« J'étais sous le choc. J'ai tiré le corps de Sabreen des décombres, l'ai prise dans mes bras et me suis mis à courir », confie Yehwa.

Aujourd'hui, Sabreen attend la pose de prothèses destinées à remplacer ses jambes. Elle reçoit également un traitement au Centre des membres artificiels et de la poliomyélite de Gaza.

Sabreen était fiancée depuis presque un an avant la guerre. Depuis l'incident, son fiancé a cessé de l'appeler.

*Les noms ont été changés pour protéger les personnes

©AIDA

Depuis que son appartement a été détruit et que son mari a été tué lors d'une frappe aérienne israélienne de l'OBP, Asma Abu Rjeila, 28 ans, et ses trois enfants ont été déplacés. Ils ont d'abord trouvé refuge dans un abri des Nations unies, mais l'endroit était bondé. Asma s'est ensuite rendue dans la maison de sa famille élargie.

« Être veuve et déplacée est une expérience très dure. Mes enfants et moi-même ne sommes pas encore remis des horreurs de la guerre et de la perte de mon époux. Nous vivons dans des conditions très difficiles, sans aucune source de revenus », explique-t-elle.

Une aide financière est disponible pour les personnes dont la maison a été détruite, mais elle n'a pas pu bénéficier de cette subvention car le logement était au nom de son mari et, suite à son décès, la belle-famille a enregistré les dégâts à leur nom. Asma essaie actuellement de transférer le dossier à son nom, mais le processus est compliqué. Si elle n'y parvient pas, sa belle-famille pourrait également récupérer l'argent des réparations correspondant à la perte de son logement.

De plus en plus de femmes à Gaza font face à la même situation qu'Asma. Dans le cadre du droit international humanitaire, les femmes ont le même droit à réparation et les organisations de droits des femmes font pression pour que l'évaluation des dommages soit faite conformément aux principes des Nations unies.

« Je ne suis pas optimiste quant à la reconstruction de mon logement. Je pense qu'il sera reconstruit dans cinq ou six ans au mieux, si un jour il l'est. Mon fils de 5 ans me dit parfois : « Ne t'inquiète pas maman. Quand je serai grand, je nous construirai une maison. » Je ne veux pas que mes enfants vivent ballotés d'un endroit à un autre ».

©AIDA