Plus de 60 000 réfugiés et migrants sont coincés en Grèce. C’est le cas de Taher, un Syrien ayant fui Alep. Il raconte ses conditions de vie difficiles, son incompréhension des procédures européennes si complexes et son inquiétude quant à l’avenir. Ce témoignage a été recueilli par Dora Vangi, membre de notre bureau en Grèce.
« J’ai survécu jusqu’ici, même si c’est dur. »
« J’essaie de rester positif. Mais, parfois, je suis fatigué. Je suis ici depuis un an et rien n’avance. »
Taher est l’un des 62 784 demandeurs d’asile résidant en Grèce. Depuis la fermeture des frontières européennes, ces personnes vivent dans des conditions encore plus difficiles. Elles sont confrontées à des procédures juridiques longues et complexes qui ne font qu’accroître leur inquiétude et leur souffrance. Taher a fui Alep et la guerre en Syrie. Il est arrivé en Grèce, il y a près d’un an. Sa demande de relocalisation vient d’être rejetée. La dernière fois que je l’ai rencontré, son large sourire avait perdu de son éclat. À mon chaleureux « Comment vas-tu ? », il a répondu hésitant :
« Ça va. Oh tu sais… Ça pourrait aller mieux, mais ça va. C’est juste que je ne comprends pas comment ils décident qui sera relocalisé et qui ne le sera pas. Certaines demandes sont acceptées, d’autres personnes avec une situation semblables voient leur demande rejetée. J’étais vraiment hors de moi au début, mais j’ai dû accepter la situation. Mon père me dit : “Rends-toi compte de la chance que tu as. En Syrie, beaucoup de personnes ne peuvent même pas sortir dans la rue. Elles n’ont souvent pas d’eau, ni d’électricité.” Cela me redonne de la force. J’ai survécu jusqu’ici, même si c’est dur. »
« Tous les projets que j’initie s’écroulent les uns après les autres. »
Taher est un jeune homme talentueux et déterminé. Il a étudié la gestion et le marketing, mais c’est sa passion pour la cuisine qui a fait de lui un chef reconnu. Ici, en Grèce, il se pose beaucoup de questions :
« C’est vraiment dur. Tous les projets que j’initie s’écroulent les uns après les autres. Tout est à recommencer, encore et encore. Les ONG comme CARE et PRAKSIS ne m’aideront pas indéfiniment. Dans un mois, je devrai quitter mon appartement. Et ensuite, où vais-je aller ? Beaucoup de gens me disent de ne pas m’inquiéter. Mais comment les choses pourraient-elles s’arranger ? Que vais-je faire ? »
Je sais que mes mots de réconfort ne sont pas ce dont il a besoin. Et Taher n’est pas seul à traverser ces épreuves : les réfugiés, qui sont arrivés en Grèce, ont déjà connu trop d’adversité. Ce qu’ils veulent, c’est reconstruire leur vie : savoir où ils habiteront, quand leurs enfants pourront retourner à l’école, quand ils seront relocalisés, pourquoi leur demande est rejetée. Ils vivent dans une incertitude constante. En tant qu’humanitaires, il nous reste encore du chemin à parcourir avant que nous puissions dire « nous avons fait du bon travail ». Les défis auxquels sont actuellement confrontés les réfugiés en Grèce exigent une action sur le long terme et des projets en faveur d’une réelle intégration.
« Je voulais rejoindre un pays sûr. »
« J’aime beaucoup la Grèce. Je voulais rejoindre un pays sûr. Mais, depuis que je suis ici, ma situation est toujours la même. J’hésite à partir de nouveau. Les jeunes Grecs partent aussi. Je vois des gens qui dorment dans la rue. Ici, la situation est mauvaise pour tout le monde », me dit Taher.
Je suis grecque et je sais qu’il a raison. Il y a un fort taux de chômage dans le pays et les réfugiés font également face à la barrière de la langue.
Dans ces conditions, Taher n’ose pas faire venir sa famille qui vit toujours en Syrie. « J’aurai le droit de les faire venir ici en Grèce car mes frères et sœurs ont moins de 18 ans, mais je ne peux pas. Je dois d’abord trouver un travail car je suis responsable d’eux. Je sais que c’est dangereux en Syrie, mais ici aussi c’est difficile. De plus, s’ils partent maintenant, quelqu’un occupera notre maison et nous n’aurons plus rien », raconte-t-il.
« Le problème ne vient pas des gens. Le problème, c’est le système. »
Alors que le nombre de conflits dans le monde augmente et les mouvements d’extrême-droite toujours plus populaires en Europe, je veux continuer à soutenir les personnes qui arrivent en Europe après avoir fui la guerre et les persécutions. J’espère que l’Union européenne respectera ses engagements et les droits des réfugiés. J’espère que nos concitoyens européens et nos dirigeants vont se rendre compte que les réfugiés apportent une contribution à notre société. C’est également ce qu’espère Taher :
« Les gens me disent que je dois m’habituer aux fausses promesses. J’ai la chance d’avoir de bons amis ici. J’ai rencontré des personnes très gentilles qui m’ont aidé. Le problème ne vient pas des gens. Le problème, c’est le système. »
Ce texte a été publié par le Journal du Dimanche