La Jordanie accueille près de 656 000 réfugiés syriens. Les humanitaires, tels que Mohammad Salem, responsable des programmes de l’ONG CARE au nord de la Jordanie, s’efforcent de leur apporter une aide vitale. C’est une responsabilité éprouvante car beaucoup de Syriens souffrent de traumatismes et se désespèrent de leur exil qui n’en finit pas.
« Tous les jours, nous rencontrons des gens qui ont tout perdu. »
Au début, les histoires que j’entendais m’empêchaient de dormir des nuits entières. Puis, on apprend à devenir plus fort. On n’a pas le choix si on veut continuer à faire notre travail. Mais c’est difficile.
Depuis quatre ans, je m’efforce d’aider les familles qui ont fui la Syrie à cause de la guerre. Tous les jours, nous rencontrons des gens qui ont tout perdu : des membres de leur famille, leur maison, leur pays, leurs rêves. Beaucoup n’arrivent pas à oublier les morts ou à effacer de leur mémoire le sang qu’ils ont vu couler en Syrie.
« Les gens doivent se rendre compte du drame vécu par les Syriens. »
Certaines de ces histoires m’ont vraiment beaucoup marqué. Je sais que je ne les oublierai jamais. J’essaie de les raconter aussi souvent que possible afin que les gens se rendent compte du drame vécu par les Syriens.
Je me souviens d’une famille dont le père avait un comportement totalement imprévisible. En Syrie, il possédait une station-service. C’était un homme fier qui prenait soin de sa famille. Il a vécu des choses très difficiles avant de fuir son pays. En Jordanie, lui et sa famille vivent désormais dans une très grande précarité : c’est son fils de 8 ans qui travaille pour les nourrir. Cette situation l’a totalement détruit. Sa femme voulait qu'on parle à son mari mais, quand je m’adressais à lui, j’avais l’impression qu’il n’était pas là. Ces moments d'absence réguliers sont causés par son état dépressif. Sa femme et son enfant sont désormais obligés de se débrouiller seuls pour survivre.
« Parfois, des membres de nos équipes craquent. »
Parfois, des membres de nos équipes craquent. Quand le parcours et les épreuves vécues par certains Syriens touchent ce que nous avons au plus profond de leur cœur, alors nous ne pouvons pas nous arrêter de pleurer. Nous devons nous raccrocher au fait que chaque personne, chaque famille aidée est une victoire collective. C’est ce qui nous permet de tenir.
Mais ce n’est pas évident, beaucoup des réfugiés que je rencontre se désespèrent de leur exil. De plus en plus de réfugiés malades ou âgés me confient que leur seul souhait est d’être enterrés en Syrie. Ils n’espèrent plus rien d’autre de l’avenir. Ça me déchire le cœur.
J’ai souvent entendu mon père, qui était un réfugié palestinien, prononcer ces mots. Il n’a jamais pu rentrer dans son pays. Je souhaite que les Syriens connaissent un sort plus heureux.
L'action de CARE en Jordanie
CARE et ses partenaires ont fourni une aide humanitaire à plus d'2,5 million de personnes en Syrie et dans les pays voisins.
Ce texte a été publié par le Journal du Dimanche