La ville d'Alep, en Syrie, est de nouveau la cible de terribles bombardements. Les populations sont prises au piège. Des humanitaires syriens, partenaires de CARE, racontent les défis auxquels ils sont confrontés.
Par Khaled Mostafa, chargé de plaidoyer pour l’ONG internationale CARE.
A Alep, la vie a cessé.
Il était difficile d’imaginer que la situation pouvait encore se dégrader à Alep. Et pourtant, les dernières semaines ont été marquées par des destructions d’une intensité sans précédent dans la partie Est de la ville. Ce qui s’y passe est effroyable. Depuis juillet, 250 000 civils sont assiégés dans la vieille ville d’Alep.
Les forces du gouvernement syrien et leurs alliés russes attaquent en continu, simultanément, avec divers types de munitions. Les populations civiles n’ont aucune échappatoire car les routes ont été fermées.
À Alep, la vie a cessé : les hôpitaux manquent de matériel médical et la ville fait face à une pénurie de médecins. Il n’y a ni électricité, ni carburant pour les voitures, ni transports publics. L’école est toujours suspendue car même les salles de classes souterraines peuvent être frappées par des bombes anti-bunker.
Les populations d'Alep n'ont plus rien.
Les gens ont peu de ressources pour vivre. Les magasins sont presque à court d’aliments et les prix ont doublé.
Les réseaux de téléphonie mobile ne fonctionnent plus. La seule possibilité pour communiquer est d’utiliser des talkies-walkies, si tant est que l’on puisse en trouver.
Suite au bombardement de la station d’épuration principale d’Alep, les habitants sont contraints d’utiliser l’eau souterraine polluée, ce qui les expose à un risque croissant d’épidémie.
« Si vous avez l’impression d’un tremblement de terre, il s’agit d’une bombe anti-bunker. »
J’ai récemment discuté avec Hassan, 29 ans, en charge des services ambulanciers mis en place par Sharak, une ONG syrienne. Notre conversation sur un réseau social était sans cesse coupée du fait des problèmes d’accès à Internet. En une heure d’échange, j’ai entendu deux explosions. Hassan m’a expliqué qu’elles s’étaient produites à seulement 500 m de l’endroit où il se trouvait :
« Au cours du mois dernier, je n’ai pas pu dormir à cause des attaques aériennes incessantes. Si vous avez l’impression d’un tremblement de terre, il s’agit d’une bombe anti-bunker. Si la nuit s’illumine comme en plein jour, c’est une bombe au phosphore. Si vous entendez plusieurs explosions à la suite, c’est une bombe à fragmentation. »
Hassan est travailleur humanitaire depuis bientôt quatre ans. Il est aujourd’hui responsable de quatre ambulances. Il passe la majeure partie de son temps à transporter les blessés des endroits bombardés jusqu’aux hôpitaux. Avant la guerre, il ne connaissait rien en matière d’assistance aux victimes de bombardement. Il était étudiant en économie et travaillait à temps partiel à la gare d’Alep.
Les bombardements rendent le travail des humanitaires difficile et extrêmement dangereux.
Les bombardements intensifs rendent le travail des secouristes et des humanitaires plus difficile, épuisant et extrêmement dangereux. Des gravas bloquent les routes, ils passent des heures et des heures à extraire les victimes des décombres, pendant que les avions tournent au-dessus de leurs têtes. Mais Hassan continue d’affirmer son credo :
« Quand une roquette frappe un bâtiment, je dois être le premier à être sur place. Les avions militaires ne font pas la différence entre les hôpitaux et les autres infrastructures. Ils visent tout ce qui est en mouvement au sol. Ils ne nous laissent pas porter secours aux victimes. J’étais là-bas lorsque l’hôpital et la zone environnante ont été attaqués par sept attaques aériennes dans un rayon de 50 m à la ronde. »
Hassan explique que les médecins sont systématiquement pris pour cibles. Certaines victimes le supplient de les conduire chez elles plutôt qu’à l’hôpital.
Tous les hôpitaux dans la partie assiégée de la ville sont hors service depuis le 18 novembre
Des médecins de Human Rights Watch ont recensé 382 attaques ciblant des installations médicales et la mort de 757 travailleurs médicaux, depuis le début du conflit en 2011. CARE et d’autres organisations internationales continuent de demander la fin des attaques sur les civils, les hôpitaux et les écoles, ainsi qu’à permettre aux victimes l’accès sans restriction à l’aide humanitaire.
Selon la direction de la santé d’Alep et l’Organisation mondiale de la santé, tous les hôpitaux dans la partie assiégée de la ville sont hors service depuis le 18 novembre après des jours de bombardements intensifs, privant 250 000 habitants de médecins spécialistes et de soins chirurgicaux. Les districts de la ville disparaissant sous des douzaines de frappes aériennes, rien n’assure que les hôpitaux pourront rouvrir.
« Si nous ne sommes pas tués par une bombe, nous serons à court de nourriture. »
Au huitième bombardement de la semaine, Ahmad, qui travaille également pour l’association Shafak, a l’air désespéré :
« Les gens sont stressés, déprimés, inquiets et effrayés. Si nous ne sommes pas tués par une bombe, nous serons à court de nourriture. Que va-t-il nous arriver ? »
Chaque jour, la situation ne cesse d’empirer. Hassan, Ahmad et les autres travailleurs humanitaires peinent à venir en aide à toutes les personnes qui en ont besoin.
« Récemment, nos ambulances ont été ciblées six fois en l’espace d’une semaine. Des éclats d’obus ont frappé les véhicules, endommageant la carrosserie et les pneus. Il ne reste plus aucune fenêtre sur les ambulances. Je n’arrive pas à trouver de pièces de rechange. Deux ambulances sont déjà hors d’usage », déplore Hassan.
« Le fait de pouvoir sauver un enfant ou un blessé me fait rester ici. »
Pour survivre dans la partie Est d’Alep, il faut s’attendre à être bombardé n’importe quand. Le manque de moyens de communication est une vraie difficulté quand on doit se coordonner les uns avec les autres.
« Imaginez, pendant que je suis en chemin vers l’hôpital, l’ambulance est soudainement touchée… », explique Hassan.
Souvent, par nécessité, il doit transporter plus de patients que ce que le véhicule permet.
L’envoyé spécial des Nations unies en Syrie, Staffan de Mistura, a déclaré aux médias en octobre dernier que la zone est d’Alep pourrait être totalement détruite dans les huit à dix semaines : « Des milliers de civils syriens, pas des terroristes, vont être tués.»
« Vous avez vu les roquettes qui ont démoli un immeuble tuant tous ses résidents. »
En dépit de ces circonstances, des milliers de travailleurs humanitaires sont restés, mettant leur vie en péril pour venir en aide aux populations délaissées.
« Le fait de pouvoir sauver un enfant ou un blessé me fait rester ici », déclare Hassan. « La vérité sur ce qui se passe est maintenant évidente aux yeux de l’ONU et du monde entier. Vous avez vu les roquettes qui ont démoli un immeuble de cinq étages et atteint ses fondations, explosant et tuant tous ses résidents. Le droit international tolère-t-il vraiment que des civils soient tués et blessés, que des médecins soient pris pour cibles pour leur venir en aide, et que personne ne puisse faire quoi que ce soit ? Je souhaite que vous demandiez à toutes les personnes libres et justes qu’elles nous aident à sauver notre ville, ne serait-ce que par des prises de parole ou des prières. »
Ce texte a été publié par le Journal du Dimanche