Amany Qaddour, directrice régionale de Syria Relief and Development (SRD), une ONG syro-américaine soutenue par CARE, raconte comment les Syriens ont pris l'habitude de déserter les hôpitaux par peur d'être tués dans un bombardement.
Amany Qaddour est directrice régionale de Syria Relief and Development (SRD). Cette organisation fournit des services de santé et de protection dans le nord de la Syrie, en collaboration avec l'ONG internationale CARE. Depuis 2014, SRD et CARE ont soutenu 10 cliniques de santé primaire et reproductive, un hôpital de traumatologie et de soins ambulatoires, ainsi que 41 centres de planification familiale.
« En Syrie, les gens évaluent sans cesse les risques auxquels ils sont confrontés »
Du fait des attaques continues contre les hôpitaux en Syrie, beaucoup de Syriens pensent qu’ils ont désormais plus de risques d’être tués dans un établissement médical que d'y être soignés. C’est ce que pense ma famille maternelle qui vit dans la banlieue de Damas. À cause de cela, j’ai été témoin de la lente détérioration de leur état de santé.
En Syrie, les gens évaluent sans cesse les risques auxquels ils sont confrontés. Confrontés à deux options, ils choisiront la moins pire. Ma famille sait que dans la capitale contrôlée par le gouvernement, les hôpitaux ne sont pas bombardés et sont donc plus sûrs. Mais pour y parvenir, ils devront faire face à d'autres dangers : avant la guerre, le voyage jusqu’à la capitale durait 30 minutes, maintenant, il faut près de 4 heures. À chaque point de contrôle, vous pouvez être renvoyé chez vous de façon totalement arbitraire. Beaucoup d’hommes craignent également d’être arrêtés ou recrutés de force pendant ces déplacements. Ils ne prennent plus le risque de faire le trajet pour se faire soigner ou accompagner leur femme enceinte ou malade.
« Des patients qui pourraient être traités facilement voient leur état de santé se détériorer rapidement »
Ce renoncement aux soins de santé a de graves conséquences, qui sont parfois mortelles. Des patients qui pourraient être traités facilement voient leur état de santé se détériorer rapidement. Des interventions chirurgicales urgentes pourraient être évitées grâce à des soins préventifs.
Et, qui plus est, aujourd’hui tout acte chirurgical est de plus en plus compliqué. La plupart des voies d'approvisionnement en matériel médical et en médicaments sont coupées. Et si la Syrie était autrefois reconnue pour ses formations médicales très rigoureuses, nous faisons désormais face à une forte pénurie de personnel de santé qualifié. Beaucoup ont été forcés de se déplacer ou de fuir dans d’autres pays. C’est le cas de mon oncle, un cardiologue à Homs, qui a dû quitter la Syrie afin de protéger sa famille.
« Ils essaient de trouver un semblant de normalité dans des circonstances de plus en plus anormales »
Je coordonne nos actions humanitaires à distance mais mon cœur est toujours en Syrie avec ma famille, mes amis et mes collègues sur le terrain. Ils me demandent de ne pas être triste pour eux. Ils refusent de se laisser sombrer dans le désespoir. Ils veulent continuer à espérer et à vivre malgré la tragédie qui se déroule autour d'eux. Les anniversaires sont encore célébrés. Les jours fériés sont toujours commémorés. Ils essaient de trouver un semblant de normalité dans des circonstances de plus en plus anormales.
Voir leur pays – mon pays – périr me brise le cœur. Mais je sais que le mieux que nous pouvons faire est de rester forts et leur faire savoir que nous continuons à être avec eux, même à distance.
Ce texte a été publié par le Journal du Dimanche
CARE et ses partenaires locaux ont fourni une aide humanitaire à plus d'1,6 million de personnes en Syrie.