Ghfran Dimashqi*, habitante de la Ghouta orientale, dénonce le manque d'accès aux soins dans cette région assiégée par le régime syrien depuis quatre ans. Elle a notamment recueilli le témoignage de la seule oncologue de la région.

« Leur jeunesse a été volée par le siège et le manque de soins médicaux. »

Le jour se lève à peine, plusieurs femmes font la queue devant l’entrée d’une cave. Un écriteau indique « Centre de cancérologie ». Des bâtiments du quartier, il ne reste que des ruines. La zone est souvent la cible de bombardements, du fait de la concentration d‘infrastructures médicales. Les vêtements de l’une de ces femmes portent encore les marques de son éprouvant voyage depuis une autre zone de la Ghouta orientale. Un petit garçon tire sur sa robe. C’est son petit-fils, dont elle s’occupe depuis la mort des parents de ce dernier. Ils ont été tués au cours d’un raid aérien.

Toutes ces femmes semblent bien plus âgées qu’elles ne le sont. Leur jeunesse a été volée par le siège et le manque de soins médicaux. Une femme, à l’allure frêle, me prend la main quand elle apprend que je suis journaliste : « S’il vous plait, pouvez-vous faire plus d’articles sur ce qui se passe ici ? Peut-être que nous recevrons plus de médicaments. » Sa fille, qui aura dix-huit ans au printemps prochain, a contracté une leucémie. Avant le siège, son état de santé semblait s’améliorer, elle se procurait des médicaments sans difficulté. Mais aujourd’hui, elle ne sait pas ce qu’elle va devenir. 

Si les Nations unies acheminent parfois du matériel médical, les quantités sont très limitées. Seule une toute petite partie de la population en bénéficie. Les habitants de la Ghouta orientale n’attendent qu’une chose : la levée du siège et l’ouverture des routes de façon à ne plus dépendre des quelques convois d’aide humanitaire. La pénurie d’antibiotiques, de sédatifs, de moyens de contraception et de matériel chirurgical stérile est un problème quotidien. 

Le nombre de fausses couches, de malformations ou d’enfants mort-nés est en augmentation.

La porte du centre de cancérologie s’ouvre enfin, laissant s’échapper une odeur d’humidité, de moisissure. Je ne peux m’empêcher de penser que même la clinique représente un risque sanitaire. Une des femmes supplie la doctoresse de soigner son frère. Elle aussi est malade, mais elle insiste : « C’est lui qui rapporte de quoi nous faire vivre. Il a des enfants. Sa vie compte plus que la mienne ». La médecin a les yeux pleins de larmes : « Aucune vie ne vaut plus qu’une autre ». Seule oncologue de la Ghouta, je ressens tout le poids des responsabilités qui pèse sur elle. Plus de 700 femmes souffrent de cancers dans cette zone, dont près de la moitié de cancers du sein.

Elle m’explique par la suite que la détérioration de la situation médicale affecte fortement les femmes, notamment celles enceintes. Beaucoup souffrent de malnutrition et de défaillance du système immunitaire. En conséquence, le nombre de fausses couches, de malformations à la naissance ou d’enfants mort-nés est en augmentation.

Le manque de personnel médical féminin dans la région

En raison du peu de personnel médical féminin dans la région, la doctoresse du centre et certaines de ses collègues ont dû élargir leur champ d’action. Les cliniques autrefois spécialisées offrent désormais des services de médecine générale et de gynécologie. La doctoresse me parle d’ailleurs de dangereuses infections du col de l’utérus et de l’utérus qui sévissent actuellement et peuvent entraîner un choc septique, voire la mort. Les principales causes de ces infections sont la contamination des eaux, résultat de la destruction des infrastructures, et le manque de stérilisation du matériel médical.

« Ce siège menace la vie de centaines de milliers de civils. »

Ce siège menace la vie de centaines de milliers de civils. En empêchant l’accès à l’aide humanitaire pour les communautés vulnérables, il enfreint le droit international humanitaire ainsi que les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Certains civils sont parfois autorisés à quitter la zone pour pouvoir être soignés. Mais ces personnes font face à d’autres risques, beaucoup craignent de se faire arrêter, enlever ou tuer. Nous appelons la communauté internationale : elle doit agir pour mettre fin à ce siège et protéger tous les Syriens !

* Ce nom a été changé pour protéger l’identité de la personne. Ghfran a suivi une formation en journalisme et leadership organisée par Women Now For Development, une association syrienne soutenue par CARE.

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