Les combats se poursuivent en Syrie. Dans le gouvernorat de Deir ez-Zor, la situation y est même plus grave que jamais. Basheer Alzalaan, réfugié syrien et membre de CARE, reçoit quotidiennement les témoignages de ses proches restés en Syrie.
« Chaque jour, les bombes tombaient. »
Depuis une semaine, je n’ai plus aucune nouvelle de ma mère et de ma petite sœur. Elles sont les dernières personnes de ma famille à avoir tenté de fuir la Syrie. Je ne sais pas si elles sont encore en vie.
J'ai grandi dans un petit village du gouvernorat de Deir ez-Zor, au nord-est de la Syrie. J'ai y passé toute ma vie, jusqu'à ma fuite vers l’Allemagne. C’était en 2014, le jour du Nouvel An. Des groupes armés avaient pris le pouvoir de la zone où je vivais et exécuté des centaines de membres de ma tribu Al Cheitaat. Les bombes tombaient chaque jour. J'ai perdu le compte de mes amis et des membres de ma famille qui sont morts.
« Ceux qui sont restés en Syrie ne savent plus où aller. »
J’étais un homme de moins de 30 ans et j’avais peur d’être recruté de force ou tué par les milices. C’est ce qui est arrivé à beaucoup de mes amis qui ont décidé de rester en Syrie. Après mon départ, mes parents m'ont parlé de crucifixions, de pendaisons publiques et de gens enterrés vivants. J'avais constamment peur pour ma famille, notamment pour ma femme qui était enceinte et mes petites filles. Les conditions de vie étaient très dures : il n'y avait presque pas d'eau courante ou d'électricité et aucune aide médicale.
Pour fuir la Syrie, j'ai marché pendant des jours, j'ai traversé une mer agitée pour rejoindre la Grèce puis j’ai traversé les Balkans. Je suis l'un des cinq millions de Syriens à avoir fui mon pays. Je suis aussi, comme disent mes proches restés en Syrie, l'un des plus chanceux. J'ai fui à un moment où il était possible de trouver refuge en Europe. Ma femme et mes enfants ont obtenu des visas avant la fermeture des frontières. Ceux qui sont restés en Syrie ne savent plus où aller.
« L’un de mes cousins a été capturé par un groupe armé et un autre a marché sur une mine. »
Dans les médias, je lis souvent que la guerre en Syrie est presque terminée, et qu'il n'y a plus de violence. Mais il y a quelques jours, l’un de mes cousins a été capturé par un groupe armé et un autre a marché sur une mine. Les messages et les vidéos de mon ami d’enfance, Mohammed, me racontent aussi cette autre réalité. Il vit toujours à Deir ez-Zor avec sa femme et ses quatre enfants. Il me raconte les bombardements quotidiens, les frappes aériennes... Nous savons que beaucoup de conversations téléphoniques sont écoutées par les groupes armés alors pour savoir comment il va, je lui demande : « Comment va ton champ ? »
Pour échapper à cette folie, les gens fuient de village en village. Certaines personnes se sont déjà déplacées plus de 20 fois au cours des six dernières années. Mais beaucoup, comme Mohammed, n’ont pas les moyens de partir. Une famille doit dépenser plus de 2 000 euros pour se rendre de Deir ez-Zor à Hassakaf, une zone plus sûre. Il faut cacher les enfants dans des camions, payer des passeurs pour passer les checkpoints et soudoyer différents groupes armés. Après des années de guerre, beaucoup de Syriens n’ont plus de ressources. Pour les aider, ils ne peuvent compter que sur ceux qui, comme moi, ont déjà quitté le pays.
Certains de mes amis m’ont envoyé des photos de leur fuite. Ils creusent des trous à même le sol pour dormir dans les zones désertiques qu’ils traversent. Ils se couvrent de vêtements pour se protéger de la chaleur et de froid. Je ne sais pas si vous avez déjà été dans un désert, mais il peut faire jusqu’à 40 degrés pendant la journée. La nuit, les températures peuvent chuter en dessous de zéro.
« À Deir ez-Zor, la situation est plus grave que jamais. »
Pendant longtemps, ma mère a refusé de partir. Elle n’a pas voulu suivre mon père quand il a fui il y a quelques semaines. Nous avons pourtant tous essayé de la persuader de partir. Mais elle a décidé de rester chez elle avec ma sœur de 12 ans. Notre village est tout ce qu'elle a toujours connu, nos ancêtres y ont vécu pendant des siècles. Elle a toujours gardé ses moutons et ses vaches, et ne voulait pas les laisser derrière. Mais il y a quelques jours, des hommes armés sont venus chez nous. Ils lui ont dit qu'elle n'y avait pas de raison qu’elle vive seule dans une si grande maison. Après cette menace, elle a fui. Dans son dernier message, elle me disait qu’elle et ma sœur allaient essayer de traverser le fleuve Euphrate.
Alors, je suis assis ici en Allemagne, en sécurité. J'ai un travail qui me plait : avec CARE, je soutiens les enfants et les adolescents réfugiés. J'ai de nouveaux amis. Mes propres enfants sont sains et saufs. Pourtant, toutes les deux minutes, je vérifie mon Whatsapp. Je reçois des nouvelles de mes proches en Syrie, ceux qui ont été déplacés par les combats, ceux qui ont échappé à des horreurs inimaginables et ceux qui sont pris au piège. La guerre n'est pas finie. Croyez-moi. Bien au contraire, chez moi, à Deir ez-Zor, la situation est plus grave que jamais.
Je sais que cette demande a déjà été formulée à de nombreuses reprises... mais il faut absolument que le droit international humanitaire soit respecté en Syrie. J'espère qu’un cessez-le-feu sauvera la vie de mon ami Mohammed et de sa famille. Et plus que tout au monde, j’espère que ma mère et ma jeune sœur sont toujours en vie.
L'action de CARE
CARE et ses partenaires locaux ont fourni une aide humanitaire à plus de 2,5 millions de personnes en Syrie et dans les pays voisins.
Ce texte a été publié par le Journal du Dimanche