Un travailleur humanitaire du nord de la Syrie qui nous raconte le quotidien de sa famille, qui vit « au son des bombes et des mortiers ». « Les Syriens vous demandent d’appeler vos gouvernements et les autres décideurs à faire pression sur les parties au conflit », écrit cet ancien ingénieur.
Par Mohammed*, travailleur humanitaire de l’association Shafak. Cette organisation humanitaire syrienne apporte une aide d’urgence et un soutien économique aux populations de la région d’Idleb dans le nord de la Syrie. Elle est soutenue par CARE.
« Notre maison tremble quand il y a des bombardements. »
Chaque nuit, ma famille s’endort au son des bombes et des mortiers. La semaine dernière, huit frappes aériennes ont touché la zone où nous vivons en une seule nuit. Notre maison tremblait. Le lendemain, comme tous les matins, j’ai dit au revoir à ma femme et à mes enfants en quittant la maison. Je savais que l’un de nous pourrait mourir ce jour-là.
Avant la guerre, j’étais ingénieur agronome. Quand j’ai perdu mon travail, le secteur humanitaire n’en était qu’à ses balbutiements en Syrie. Avant la crise, la seule organisation humanitaire était le Croissant-Rouge arabe syrien. A Idleb, le secteur agricole était très développé alors j’ai pu profiter de mon expertise pour aider les gens.
« Renforcer la résilience des populations peut leur apporter de l’espoir sur le long terme. »
Désormais, je travaille avec l’ONG syrienne Shafak. Nous distribuons des bons alimentaires, du matériel agricole et du bétail. Nous aidons les agriculteurs à s’occuper de leurs terres et à assurer leurs moyens de subsistance. Renforcer la résilience des populations peut leur apporter de l’espoir, pas seulement au jour le jour, mais aussi sur le long terme. Nous en avons besoin.
Nous apportons également de l’aide aux petits commerces. Nous soutenons aussi la création de salons de coiffure, d’ateliers de couture, de boutiques de réparation de téléphones mobiles, de boucheries et de boulangeries.
L'impact économique de la guerre pour les Syriens
Fin 2012, la dévaluation de notre monnaie, la hausse considérable des prix et l’augmentation du chômage ont mis en évidence l’impact économique de la crise.
Lorsqu’un village est bombardé, beaucoup de ses habitants fuient vers un autre endroit. Mais certains risquent leur vie pour pouvoir travailler. Il y a quelque temps, deux travailleurs agricoles restés dans leur village ont été tués dans un bombardement. Ça peut arriver à tout moment.
« Le plus terrible, c’est d’être incapable de rassurer mes enfants. »
Partout et à tout moment, nous sommes exposés aux bombardements : sur nos lieux de travail, dans les écoles, dans les hôpitaux, sur les routes… Aucun endroit n’est sûr.
Mes enfants continuent d’aller à l’école malgré les dangers. Depuis début 2016, il y a eu au moins 38 attaques sur des écoles en Syrie. Fin octobre, l’une d’entre elles a tué 35 personnes, dont 22 enfants. Nous craignions que le but du gouvernement soit de priver la nouvelle génération d’une éducation, de répandre l’ignorance. La meilleure réponse est de faire tout notre possible pour que nos enfants aillent à l’école.
Le plus terrible, pour le père que je suis, c’est d’être incapable de rassurer mes enfants. Ils éclatent en larmes au son des bombes. Et il n’y a rien que je puisse faire pour les convaincre qu’ils sont en sécurité. Dans la nuit, ils retiennent leurs larmes et finissent par s’endormir.
« Beaucoup de gens que nous connaissions ont été victimes de ce conflit. »
Nous risquons nos vies depuis longtemps. Je me souviens encore très précisément du jour où l’armée a ouvert le feu sur une manifestation pacifique en mai 2011. Ces événements sont gravés dans nos mémoires.
Nous avons été déplacés en janvier 2013. L’armée a exécuté mon cousin qui voulait rester dans notre village. 40 autres personnes ont été tuées ce jour-là. Etre témoin de la perte de proches engendre une grande douleur. La grand-mère de ma femme, qui avait 95 ans, a été exécutée le même jour. Mon oncle et d’autres membres de la famille ont aussi été tués. Beaucoup de gens que nous connaissions ont été victimes de ce conflit.
« Ce pays est le nôtre. »
Mais malgré ces heures sombres, nous devons affronter la situation et la vie doit continuer. Ce pays est le nôtre. C’est ici que nous continuerons à vivre ou que nous mourrons, avec dignité.
Amis, frères et sœurs en humanité, essayez de comprendre l’étendue de la souffrance du peuple syrien. Le monde n’a pas connu de telle tragédie depuis des décennies. Il doit prendre position contre le massacre d’innocents.
Les Syriens vous demandent d’appeler vos gouvernements et les autres décideurs à faire pression sur les parties au conflit. Il faut que les attaques aériennes contre les populations cessent. Aidez-nous en demandant au régime syrien de mettre fin aux déplacements forcés, de lever le siège des villes et de libérer les détenus innocents. Aidez-nous en soutenant l’éducation des Syriens, pour éviter aux prochaines générations de vivre dans l’ignorance.
Nous vivons des heures sombres, mais n’abandonnez pas la Syrie. Pensez à nous et mettez-vous à notre place. Imaginez ce que les enfants continuent d’endurer. Aucun d’eux n’a mérité ce sort.
* Le nom a été changé pour protéger l’identité de l’auteur.
Le Journal du Dimanche a publié ce texte