Entre 2015 et 2016, près de 1,2 million de demandeurs d’asile sont arrivés en Allemagne, dont beaucoup originaires de Syrie. Parmi eux, Ahmad, alors âgé de 25 ans. Aujourd’hui, volontaire au sein de l’ONG CARE, il se mobilise pour faciliter l’intégration des réfugiés.
« Du jour au lendemain, j’ai fui mon pays en laissant tout derrière moi. »
« Bonjour, comment vas-tu ? » Cette question, je pouvais l’entendre une bonne vingtaine de fois en marchant dans la rue où j’habitais. Je mettais parfois une demi-heure pour rentrer chez moi, le temps de saluer les habitants de mon quartier.
Je suis originaire d’Idleb mais j’ai grandi à Damas. Je venais d’y acheter un appartement. Je gagnais plutôt bien ma vie en travaillant dans la boutique de mes parents. Mais tout cela n’est plus qu’un lointain souvenir.
J’ai tout fait pour rester le plus longtemps possible dans mon pays, mais à un moment c’était devenu trop dangereux. J’ai participé au mouvement du printemps arabe. Ce n’était pas encore la guerre mais j’ai commencé à avoir peur des représailles, je craignais pour ma vie. Du jour au lendemain, j’ai fui mon pays en laissant tout derrière moi : mon appartement, mes biens et tout ce pour quoi j’avais travaillé si dur.
« J’ai compris que le plus important était l’apprentissage de la langue. »
Ma fuite a été compliquée. J’ai tenté plusieurs fois d’arriver jusqu’en Turquie sans succès. Lorsque j’y suis parvenu, j’ai travaillé en tant que traducteur turc-arabe. C’était en 2012. Je travaillais le plus possible, six jours par semaine, plus de 12 heures par jour, pour pouvoir envoyer de l’argent à ma famille. Mes neuf sœurs et mes trois frères étaient toujours en Syrie.
J’ai vécu trois ans dans une chambre minuscule avec cinq autres personnes. J’avais perdu mon passeport et je n’avais aucun moyen d’obtenir un permis de séjour en Turquie. Et puis je voulais faire des études. C’est pour ça que j’ai décidé de partir. Au début, je voulais aller au Danemark, mais j’ai finalement atterri à Bonn.
Ici, en Allemagne, j’ai le statut de réfugié. Les premiers temps furent vraiment difficiles. Interdiction de travailler, absolument rien à faire… Et le sentiment d’être complètement inutile. C’était comme être enfermé dans une cage. J’ai compris que le plus important était l’apprentissage de la langue. Autrement, c’est vraiment difficile de s’intégrer.
« Avec les élèves et enseignants allemands, nous parlons de nos cultures respectives. »
Sur les conseils d’un ami, j’ai commencé à faire du volontariat pour CARE. Depuis, je participe au projet KIWI (Kids Welcome Initiative), un programme d’intégration des enfants réfugiés dans les écoles allemandes. C’est vraiment génial de pouvoir aider les enfants et les jeunes réfugiés, nous parlons de leurs expériences et de notre nouvelle vie en Allemagne. J’échange aussi avec les élèves et enseignants allemands, nous parlons de nos cultures respectives.
Je suis vraiment reconnaissant de pouvoir travailler. Je prends beaucoup de plaisir à aider des gens de cultures différentes à mieux se connaitre, à créer des liens. Cela m’a aussi permis de reprendre espoir et de retrouver ma détermination.
« La grande majorité d’entre nous n’ont pas eu d’autre choix. »
Beaucoup de gens pensent que les Syriens émigrent en Allemagne parce que le niveau de vie est meilleur. Mais en réalité, la grande majorité d’entre nous n’ont pas eu d’autre choix. Le pays est devenu trop dangereux. Et quelqu’un doit bien essayer de gagner de l’argent pour aider ceux qui n’ont plus rien en Syrie.
Cela fait deux ans que je vis en Allemagne mais je regrette toujours la Syrie. Si j’avais le choix, est-ce que je préfèrerais rester en Allemagne ou rentrer en Syrie ? C’est une question délicate. Aujourd’hui, j’ai envie de croire que je rentrerai un jour, mais la guerre dure depuis si longtemps… Et qui sait ce qui pourrait arriver ? Si je tombe amoureux ici ? Et puis je rêve d’étudier les sciences politiques. Qui sait, un jour peut-être, ici aussi, je mettrai une demi-heure à saluer les gens de ma rue avant de rentrer chez moi. Quitter l’Allemagne serait alors bien difficile...
Soutenez nos actions en faveur des populations syriennes
L’ONG CARE et ses partenaires ont fourni une aide humanitaire à plus de 2,5 millions de personnes en Syrie et dans les pays qui accueillent des réfugiés syriens.
Ce texte a été publié par le Journal du Dimanche