Amany Qaddour, directrice régionale de Syria Relief and Development (SRD) et partenaire de CARE, fait le point sur la disparition des services de santé dans le nord de la Syrie. Une situation qui peut affecter le développement des nourrissons tout au long de leur enfance.
« C’est un médecin spécialisé en ORL qui a dû effectuer l’accouchement. »
Depuis le début de la guerre en Syrie, des centaines de milliers de femmes et de filles n'ont plus accès aux services de santé. C’est pourtant l’un de leurs droits fondamentaux. Mais aujourd’hui, c’est un réel défi de parvenir à fournir des soins de santé dans les régions affectées par la guerre, dans des endroits où le système de santé est en train de s’effondrer. Il y a cinq ans, nos équipes médicales n’avaient aucune idée de la créativité qu’elles auraient à déployer pour compenser la pénurie de matériel et de personnel qualifié. L’un de mes collègues, médecin, se rappelle :
« Une nuit, vers 3h du matin, un homme est arrivé en urgence à l’hôpital où je travaillais. Sa femme enceinte de seulement 7 mois était sur le point d’accoucher. Nous n’avions pas de médecin obstétricien ni de sage-femme. Nous avons essayé de la transférer dans un autre centre de santé mais notre équipe a été stoppée à l’un des checkpoints. Ils ont été obligés de revenir à l’hôpital : c’est un médecin spécialisé en ORL qui a finalement effectué l’accouchement. »
« Nos équipes travaillent dans une période de chaos et d'incertitude, dans l'un des contextes sécuritaires les plus volatiles au monde. »
Les conditions de travail de nos équipes médicales sont tout simplement incompréhensibles pour les personnes qui ne sont pas en Syrie. Elles doivent prodiguer des soins de santé dans une période de chaos et d'incertitude, dans l'un des contextes sécuritaires les plus volatiles au monde.
L’année 2016 a été l'une des plus difficiles. Des centaines d’hôpitaux et de centres de santé ont été bombardés et détruits. Afin d'assurer la sécurité de nos patients et du personnel médical, nous avons déménagé nos cliniques à plusieurs reprises.
Nous assurons également des services de santé mobiles pour aider les femmes qui n’ont plus accès à aucun centre de santé. Car, quand une clinique de santé reproductive est détruite, ce sont des centaines de femmes qui sont privées de soins obstétricaux et gynécologiques. Qui les aidera lors de leur accouchement ? Qui veillera à ce que mères et enfants soient en bonne santé ?
Ce sont les questions que nos équipes se sont posées en décembre dernier à Alep-Est. Suite à l'arrêt brutal des évacuations, des milliers de civils, dont certains avaient besoin de soins médicaux, se sont retrouvés piégés. Or, une grande partie du personnel médical avait déjà pu quitter la ville. Une femme sur le point d’accoucher a été conduite au seul centre de santé qui fonctionnait encore. C’est une infirmière chirurgicale qui a dû l’opérer et effectuer sa césarienne, pendant qu’un interne s’occupait de l'anesthésie. Si la mère a pu être sauvée, son bébé n’a pas survécu. Il souffrait de graves malformations dues à des complications durant la grossesse.
« Ces enfants sont victimes de la guerre avant même d'être nés. »
Les femmes qui n'ont pas accès à des soins pendant leur grossesse risquent d'avoir des enfants souffrant de graves problèmes de santé ou de retards de développement. Ces enfants sont victimes de la guerre avant même d'être nés. Nous savons que des problèmes de santé influent sur pratiquement tous les aspects de la vie, y compris en ce qui concerne le suivi scolaire, les opportunités et, par conséquent, sur le statut socio-économique de l’individu une fois adulte.
La destruction du système de santé syrien affecte des générations entières de mères et d'enfants. Ce qui se passe aujourd'hui aura des conséquences pour les 10, 20 et même 30 prochaines années.
Les enfants syriens continuent à souffrir et à mourir devant nos yeux. Trop nombreux sont ceux qui voient aussi leur avenir sacrifié. C’est aussi le cas pour un nombre croissant de jeunes filles qui sont mariées de force car leurs parents n’ont pas les moyens de les nourrir ou de les protéger. Les filles handicapées courent encore plus de risques. De nombreuses jeunes filles se retrouvent enceintes alors que leur corps n'est pas encore prêt. Les grossesses précoces représentent la deuxième cause de décès chez les filles âgées de 15 à 19 ans dans le monde. Les jeunes Syriennes ne sont pas épargnées.
L'action de CARE et de SRD en Syrie
CARE et ses partenaires locaux ont fourni une aide humanitaire à plus d'1,6 million de personnes en Syrie.
Depuis 2014, SRD et CARE ont soutenu 10 cliniques de santé primaire et reproductive, un hôpital de traumatologie et de soins ambulatoires, ainsi que 41 centres de planification familiale.
Ce texte a été publié par le Journal du Dimanche