Un témoignage de Amanai Idlibi, coordinatrice de projets de planification familiale pour l’association Syria Relief and Development, qui fournit une aide médicale d’urgence dans le nord de la Syrie. Cette organisation humanitaire syrienne est soutenue par l’ONG internationale CARE.

« C’est étrange, j’ai vécu ici toute ma vie et pourtant je ne suis plus chez moi. »

J’ai quitté Alep depuis six semaines et déjà de nouveaux postes de contrôle sont apparus dans la ville. J’ai fui avec ma famille et ne suis revenu que pour récupérer mes certificats universitaires et mon passeport afin de pouvoir travailler en tant qu’humanitaire depuis la Turquie. C’est étrange, j’ai vécu ici toute ma vie et pourtant je ne suis plus chez moi.

Ici à Alep-Ouest, la vie était relativement normale, même ces dernières années. Il y avait parfois des coupures de courant ou des pénuries d’eau, mais jamais très longtemps. Je me levais tôt tous les matins pour poursuivre mes études en biotechnologie. Mais, au sein de l’université, il y avait des vigiles partout. Ils s’assuraient que nous n’étions pas impliqués dans des activités contre le régime. J’avais toujours peur que mon nom soit sur leur liste mais ils m’ont toujours laissé passer. 

Le soir, je rendais visite à des amis, j’étudiais pendant quelques heures puis je mangeais bien. La nuit était le seul moment durant lequel nous étions vraiment conscients de la guerre qui faisait rage. On entendait les bombes du régime pleuvoir sur Alep-Est, contrôlée par l’opposition. C’était un sentiment étrange. Certes, nous étions en sécurité dans notre lit mais les bombes étaient tirées de notre côté de la ville et frappaient nos voisins.

« Toute notre famille était en danger.  »

Les choses ont changé quand mon frère s’est mis à travailler pour un hôpital à Alep-Est. Le gouvernement a commencé à le traquer et essayé de l’arrêter. Son nom a été ajouté à la liste des personnes recherchées. Toute notre famille était en danger. N’importe lequel d’entre nous pouvait être enlevé par le régime. Mon frère a déménagé à l’est de la ville. Quand il nous rendait visite, il nous racontait sa vie de l’autre côté de la ville. Et quand il repartait, nous pensions ne jamais le revoir.

Puis il est devenu trop dangereux de rester à Alep. Nous avons donc décidé de fuir en Turquie. Nous avons d’abord rejoint la partie est de la ville. C’est là que j’ai compris ce qu’est vraiment la guerre. Là-bas, il n’y a pas de vie : vous attendez seulement la fin des frappes aériennes et le prochain drame. Tout est détruit. Il n’y quasiment rien à manger et pas d’eau. Tout le monde porte des vêtements usés, il n’y a rien de neuf là-bas. De plus, beaucoup portent une arme pour protéger leur famille.

« Nous avons traversé la ville en passant la rue que tout le monde surnomme la route de la mort. »

Cette nuit-là, nous avons dormi dans une chambre de l’hôpital où travaille mon frère. Les bombardements ont commencé mais cette fois nous étions parmi les cibles. Aux premières lueurs du jour, nous avons traversé la ville en passant la rue que tout le monde surnomme la « route de la mort ».

Pas plus tard qu’hier, j’ai fait ce trajet pour la deuxième fois. Sans mes papiers, ma vie est en suspens. Sur cette route, des snipers du régime visent tous ceux qui tentent de faire la traversée. On dit que dix personnes sont tuées chaque jour. 

Alors que nous nous préparions à partir, quelqu’un m’a interpellé : « Tu es folle de porter ça ? Tu vas faire une cible de choix. » Je n’avais pas réalisé que je portais une veste rouge vif. J’ai réussi à recouvrir ma veste avec le châle noir de ma mère et,lors d’un moment de calme , nous avons commencé à marcher très rapidement. Les gens vous disent de ne pas courir.

« Parfois, les cliniques sont obligées de fermer car elles sont prises pour cibles dans les bombardements. »

Lorsque j’ai fui en Turquie, le Dr Abdul, un ami de mon frère, nous a aidés. Sur la route, il nous a raconté l’aide qu’il apportait aux Syriens. C’est ce qui m’a donné envie de m’impliquer dans l’humanitaire.Si je ne pouvais pas rester en Syrie, je pouvais néanmoins faire quelque chose depuis la Turquie. 

Aujourd’hui, je coordonne les activités de cliniques dans le nord de la Syrie qui dispensent des soins en matière de santé sexuelle et reproductive aux femmes enceintes et aux jeunes mères. Chaque équipe est composée de deux sages-femmes, deux assistant(e)s social(e)s et deux infirmier(e)s. Parfois, les cliniques sont obligées de fermer car elles sont prises pour cibles dans les bombardements. Ce type d’aide médicale est très difficile à fournir en zone de conflit mais nos équipes y parviennent.

Une fois que j’aurai traversé de nouveau la « route de la mort », je pourrai continuer mon travail humanitaire et mes études. Je n’ai jamais voulu quitter mon pays, ma maison, mais vivre dans la peur constante d'être tuée ou enlevée n’est pas une vie. 

Nous avons déjà soutenu 1,6 million de personnes en Syrie. Vous pouvez nous aider à poursuivre notre action.

CARE et ses partenaires, dont Syria Relief and Development, ont déjà fourni une aide humanitaire à plus d'1,5 million de personnes en Syrie : distribution de nourriture et de biens de première nécessité, accès aux soins médicaux, amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement, soutien financier et psychosocial.