Osama Al Ghssen est ingénieur civil, membre d’une association syrienne partenaire de CARE. Il travaille dans le sud de la Syrie, dans les provinces de Daara et de Quneitra où CARE est l’unique fournisseur de latrines : il a contribué à construire 270 latrines pour plus de 5 000 Syriens déplacés.
« Personne ne devrait vivre dans de telles conditions. »
Avant la guerre, la Syrie était un pays à revenu intermédiaire avec des écoles, des hôpitaux et une industrie. Les communautés étaient raccordées à l’eau courante et aux réseaux d’égouts. Il n’était pas rare d’avoir plusieurs salles de bain dans sa maison.
Aujourd’hui, après plus de cinq années de guerre, 6,5 millions de Syriens sont déplacés internes. Ils fuient les combats d’un lieu à l’autre. Au début, les gens achetaient des tentes, elles n’ont pas résisté à cinq longues années. Aujourd’hui, un grand nombre construisent des abris de fortune à base de bois et de bâches ou trouvent refuge dans des abris collectifs. Personne ne devrait vivre dans de telles conditions.
Ces gens sont livrés à eux-mêmes. Quand vous voyez ce paysage aride, vous vous demandez comment ils font pour vivre. Ces personnes dépendent entièrement de l’aide d’urgence qui est distribuée de façon irrégulière par différentes organisations : parfois un kit d’hygiène, parfois de la nourriture.
Les hommes recherchent du travail au jour le jour, n’importe quoi qui puisse leur rapporter un peu d’argent. Auparavant, les gens travaillaient dans le secteur agricole. Mais avec la guerre et la fin des subventions du gouvernement, c’est devenu plus difficile. Lorsqu’il y a du travail, ce ne sont que des emplois saisonniers, comme la cueillette des olives. Avant la guerre, beaucoup de femmes travaillaient elles aussi. Elles continueraient à le faire si elles le pouvaient. Trop de familles sont dirigées par des femmes et dépendent entièrement d’elles. Leurs maris ont été tués, emprisonnés ou blessés.
« Ce sont les femmes qui sont les plus reconnaissantes de notre travail. »
Ce sont les femmes qui sont les plus reconnaissantes de notre travail car ce sont elles qui souffrent le plus du manque de sanitaires. Sans ces installations, les femmes sont obligées de marcher longtemps, sans aucune sécurité, pour avoir de l’intimité. Dans le sud, de nombreuses régions sont formées des paysages découverts et plats. Il n’y a pas de rochers pour se cacher. Dans ces conditions, la plupart attendent toute la journée pour se soulager la nuit. Celles qui ont des problèmes de santé en souffrent beaucoup.
Dans certaines communautés, les femmes construisent des petites tentes à l’aide de bâches pour faire leurs besoins à l’abri des regards. Mais, avec le vent, celles-ci s’envolent facilement. C’est une situation humiliante : imaginez une femme qui habitait une maison avec plusieurs toilettes et, du jour au lendemain, se retrouve à devoir s’accroupir dans le désert à la vue de tous.
Nous faisons de notre mieux pour attirer l’attention sur cette question. Quand on parle de la situation des personnes qui vivent dans des pays en guerre, on pense immédiatement à l’insécurité. On accorde trop peu d’importance aux latrines, à l’eau, aux systèmes sanitaires ou à l’hygiène. Cela fait également partie de la survie. C’est essentiel.
« Ils m'appellent le "gars des toilettes". »
J’aimerais vraiment que l’on puisse aider tout le monde mais nos moyens sont limités. Nous sommes les seuls fournisseurs de latrines dans le sud. Au début, ce n’était pas facile de localiser des familles. Je trouvais 500 personnes déplacées à un endroit, 500 autres ailleurs. Au fur et à mesure que j’apercevais des camps, je les visitais, évaluais leurs besoins et dessinais un plan. Désormais, ce sont les gens qui me contactent sur WhatsApp. Ils m’appellent « le gars des toilettes ».
Chaque jour, ils sont plus nombreux à nous demander de l’aide. La semaine dernière, on m’a parlé de 1 200 familles qui vivent dans des conditions désastreuses, surtout depuis que la pluie a commencé à tomber. Beaucoup vivent sous les arbres. Nous leur apporterons des kits d’hygiène et des latrines dès que nous le pourrons.
Nous construisons des toilettes provisoires mais résistantes, faites d’acier et de tôle ondulée. Chaque latrine dispose d’un trou qui sert de fosse septique. Une famille peut les utiliser 6 à 12 mois, selon la nature du sol. Les latrines sont transportables. C’est un critère essentiel pour les communautés déplacées qui fuient lorsque les combats se rapprochent.
Je sais que ce dont les gens ont vraiment besoin, c’est que cette guerre s’arrête. Seulement alors nous pourrons reconstruire le pays. Nos problèmes seront résolus. D’ici là, les solutions que nous apportons ne sont que des réponses ponctuelles à une crise beaucoup plus vaste.
Ce témoignage a été publié par le Journal du Dimanche
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